July 8, 2025
Au cœur de l’une des régions les plus innovantes de la planète, un nouveau "Graal" mobilise chercheurs, entrepreneurs et investisseurs : la longévité. Autrement dit, vivre plus longtemps, mais surtout en meilleure santé. Ce qui relevait autrefois du fantasme transhumaniste devient aujourd’hui un axe stratégique de recherche, désormais porté par les plus grands centres académiques et industriels. À la croisée de la biotechnologie, de l’intelligence artificielle et de la médecine de précision, la Silicon Valley s’impose comme l’épicentre d’une révolution médicale, économique et culturelle en pleine accélération.
«D’ici 2030, une personne sur six dans le monde aura 60 ans ou plus.”
Le sujet de la longévité touche à celui du vieillissement, un processus biologique universel, marqué par la dégradation progressive des fonctions cellulaires et physiologiques: inflammation chronique, raccourcissement des télomères, stress oxydatif, perte de plasticité tissulaire, altération des fonctions cognitives. Il ne s’agit pas d'une maladie en soi, mais le principal facteur de risque pour les pathologies chroniques majeures : cancer, maladies cardiovasculaires, diabète, Alzheimer...
La médecine de la longévité repose donc sur une hypothèse centrale: en agissant sur les mécanismes biologiques du vieillissement, il serait possible de retarder simultanément l’émergence de multiples maladies. Ce paradigme, désormais reconnu par l’OMS, privilégie l’allongement de la healthspan, la durée de vie en bonne santé, plutôt que la seule prolongation de la lifespan:
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) définit l'« espérance de vie en bonne santé » comme la période de la vie passée en bonne santé, sans maladies chroniques ni incapacités dues au vieillissement. En termes plus simples, il s'agit de la partie de la durée de vie pendant laquelle un individu jouit d'une bonne santé.
Selon Joseph Coughlin, fondateur et directeur du MIT Age Lab, un autre segment mérite une attention particulière dans le champ de la longévité : les femmes. « Au sein de la population vieillissante, ce sont elles les véritables catalyseurs de l’innovation : elles vivent plus longtemps, sont les principales aidantes, et les conseillères les plus fiables des générations plus jeunes. »
L’âge biologique est un indicateur qui estime l’état réel de vieillissement de votre corps, au-delà de votre âge en années. Il est né des recherches scientifiques sur les "horloges biologiques", initiées dans les années 2000, notamment par Steve Horvath, qui a mis au point des tests basés sur l’ADN. Ces horloges utilisent des données comme les marqueurs sanguins, l'imagerie cérébrale ou la mémoire pour évaluer la vitalité de vos organes. Selon les paramètres mesurés (peau, cœur, cerveau…), une personne peut avoir plusieurs âges biologiques différents. L’idée est de mieux prévenir les maladies liées à l’âge en identifiant les signes de déclin avant qu’ils ne deviennent visibles. Ce concept gagne du terrain dans la recherche et la médecine préventive, et pourrait bientôt devenir un outil courant de suivi de santé.
La longévité ne se résume plus à un défi médical, elle dessine désormais une trajectoire globale structurée autour de quatre grandes étapes : maintenir un mode de vie sain, gérer les maladies chroniques, repousser les limites biologiques par des traitements ou suppléments, et viser des interventions moléculaires de pointe. Ce parcours mobilise des secteurs très variés, des technologies du bien-être aux biotechnologies, en passant par les medtechs, la nutrition, l’IA, et les omics (génomique, microbiome...).
Mais cette dynamique dépasse largement le cadre de la santé. La longévité s’impose comme un prisme d’innovation, capable de transformer en profondeur les attentes des consommateurs et les modèles de conception. Des entreprises emblématiques l’ont déjà intégré, souvent sans le revendiquer. Dyson, par exemple, conçoit des produits intuitifs et ergonomiques, pensés pour tous, sans jamais cibler explicitement les publics âgés. Apple repense l’accessibilité de ses interfaces pour toutes les générations. Nike et Skechers proposent des chaussures faciles à enfiler, qui séduisent autant les jeunes parents que les seniors.
La longévité, loin de se limiter à la santé, devient un prisme à travers lequel repenser design, expérience utilisateur, mobilité, consommation.
En Silicon Valley, la santé n’est pas perçue comme un secteur à part, mais comme un terrain d’innovation systémique, à la croisée des biotechnologies, du numérique et de l’intelligence artificielle. Fidèle à son ADN de rupture, de l’ordinateur personnel à l’IA générative, la région aborde la longévité comme la prochaine grande frontière technologique.
Dès les années 2000, des figures emblématiques de la tech, telles que Larry Page (Google) ou Peter Thiel (Palantir), s’intéressent à la biologie du vieillissement. En 2013, Google fonde Calico (California Life Company), dans le but de comprendre et traiter les maladies liées à l’âge. De son côté, le Buck Institute, inauguré en 1999 à Novato, reste à ce jour la seule institution entièrement dédiée à l’étude du vieillissement. Son approche préventive, centrée sur la compréhension des mécanismes biologiques en amont des maladies chroniques, en fait une référence mondiale.
Comme le résume le Dr David Furman, directeur du Buck Bioinformatics and Data Science Core:
« Le maintien des fonctions physiologiques au cours du vieillissement est ce qui compte le plus pour les personnes âgées. La médecine devrait viser la préservation de la fonction, plutôt que la simple absence de maladie. »
Cet écosystème foisonnant est aujourd’hui cartographié par la plateforme Longevity Tech Tree, développée par le Foresight Institute, qui recense déjà plus de 1 000 startups : nutrition de précision, biomarqueurs prédictifs, diagnostics avancés, médecine régénérative ou thérapies cellulaires.
La Silicon Valley concentre ainsi l’un des pôles les plus dynamiques au monde en matière de longévité. Côté startups, Altos Labs, soutenue par Jeff Bezos, explore la reprogrammation cellulaire pour inverser le vieillissement. Retro Biosciences et Loyal (qui utilise des modèles animaux) poursuivent également cette ambition de longévité. Jupiter Neurosciences, quant à elle, valorise sa technologie pharmaceutique en lançant Nugevia™, une ligne de compléments nutritionnels haut de gamme, tout en poursuivant ses recherches cliniques sur des pathologies neurologiques telles qu’Alzheimer ou Parkinson.
Les géants de la tech ne se contentent plus d’observer: ils investissent massivement dans la redéfinition des frontières entre technologie et santé. Google mène une double stratégie, misant sur la recherche fondamentale autour du vieillissement avec Calico, et sur les applications concrètes de la santé numérique via Verily, sa filiale dédiée aux sciences de la vie. Apple transforme l’Apple Watch en outil de santé prédictive, intégrant le suivi cardiaque, la détection de chutes ou encore le monitoring du sommeil. Amazon, de son côté, développe des fonctionnalités de santé connectée à travers Alexa, s’invitant dans le quotidien des foyers. Microsoft met la puissance de son cloud Azure au service de la biologie computationnelle, notamment pour accélérer le développement de nouveaux traitements. Meta explore les interfaces cerveau-machine dans l’optique d’amplifier les capacités cognitives humaines. Enfin, Elon Musk, via Neuralink, pousse la convergence entre intelligence artificielle et neurotechnologies, en développant des implants destinés à restaurer certaines fonctions neurologiques, et, à plus long terme, à fusionner le cerveau humain avec la machine.
Parallèlement, des dispositifs connectés comme Oura, Whoop ou Levels démocratisent une culture du self-quantified health. En mesurant sommeil, stress, variabilité cardiaque ou glycémie, ils transforment la donnée en outil de pilotage personnel de la santé. Connectés à des systèmes d’IA, ces flux d’informations alimentent une médecine préventive, ultra-personnalisée et intégrée au quotidien.
Enfin, les dernières avancées en cellules souches, épigénétique, microbiome et reprogrammation cellulaire ouvrent la voie à une médecine régénérative de plus en plus fine et personnalisée. Dans la région de South San Francisco, surnommée Biotech Bay, un écosystème foisonnant d’innovations biotech émerge. L’IA, omniprésente dans la Bay Area, transforme également les sciences de la vie : jumeaux numériques, conception accélérée de molécules, prévention algorithmique… Des acteurs comme OpenAI, Anthropic ou NVIDIA multiplient les synergies avec le secteur santé, contribuant à façonner une nouvelle ère de médecine prédictive.
Des pionniers emblématiques contribuent à façonner l’imaginaire collectif autour de la longévité, parfois en suscitant autant d’admiration que de scepticisme. Si certaines pratiques radicales interpellent, elles participent néanmoins à faire émerger une conversation publique sur l’importance de vivre en bonne santé tout au long de la vie.
La longévité émerge progressivement comme une thèse d’investissement à l’intersection du vieillissement démographique, des avancées technologiques et de l’évolution vers une médecine axée sur la prévention. Sam Altman, PDG d’OpenAI, incarne cette convergence entre tech et biotech: il a investi 180 millions de dollars dans Retro Biosciences, une entreprise qui ambitionne de prolonger l’espérance de vie humaine de dix ans grâce à la reprogrammation cellulaire.
Les investisseurs de la Silicon Valley jouent un rôle moteur dans le développement du secteur. Des fonds comme Andreessen Horowitz (a16z), Khosla Ventures, ou des figures comme Bryan Johnson (Blueprint) et Jeff Bezos (Altos Labs), injectent des centaines de millions de dollars dans la recherche sur le vieillissement. Cette dynamique est renforcée par la concentration exceptionnelle de fonds de capital-risque sur Sand Hill Road, à Palo Alto, au cœur de la vallée.
Les récentes levées de fonds confirment cet intérêt. En 2024, ŌURA, spécialisée dans les wearables de santé, a levé 200 millions de dollars, tandis que Function Health, qui développe des tests et bilans préventifs, a bouclé une série A de 53 millions. Malgré cet élan, selon certains analystes, les niveaux d’investissement restent encore en deçà des enjeux réels. Aux États-Unis, les maladies chroniques représentent à elles seules 85 % des dépenses de santé, soit près de 4,9 trillions de dollars, alors que les modèles économiques de la prévention peinent à s’imposer.
« L’investissement progresse, mais demeure insuffisant face aux enjeux. Le passage de la recherche à l’adoption reste un goulet d’étranglement majeur », souligne Phil Newman, fondateur de Longevity.Technology.
Enfin, la géographie de l’innovation reste largement polarisée. Les États-Unis concentrent aujourd’hui 84 % des deals et plus de la moitié des entreprises du secteur. L’Europe (notamment la Suisse et la Finlande) et l’Asie (Singapour, Japon) montrent un dynamisme certain, mais peinent encore à rivaliser en visibilité et en capacité de financement.
Longtemps reléguée au rang de lubie technophile, la longévité s’impose désormais comme un nouveau prisme d’innovation qui traverse les secteurs: santé, technologie, consommation, mobilité, bien-être. En Silicon Valley, elle mobilise des expertises interdisciplinaires, des financements massifs et une vision résolument tournée vers une vie plus longue et en meilleure santé. Plus qu’une évolution médicale, il s’agit d’une mutation culturelle portée par l’intelligence artificielle, la recherche biomédicale et une approche holistique de l’humain.
L’équipe de RealChange explore actuellement plusieurs façons de partager les avancées de cette nouvelle vague d’innovation avec ses clients et partenaires. Si ce sujet vous intéresse, nous serions ravis d'échanger et de co-construire avec vous.